Drouot, 26 septembre 2023 à 14:00

Yann Le Mouel

Atelier Saverio LUCARIELLO (1958-2023)

Mardi 26 septembre 2023 à 14h

Photographies / Tableaux / Sculptures
couvrant la période de 1986 à 2019

Expositions publiques à Drouot :

Samedi 23 septembre 2023 de 11h à 18h
Lundi 25 septembre 2023 de 11h à 18h
Mardi 26 septembre 2023 de 11h à 12h

Certains lots sont visibles au Cabinet OTTAVI, 12 rue Rossini 75009 Paris, le 23 et 25 septembre.

Expert en tableaux et sculptures : Marc OTTAVI
En charge de la vente : Nadezda GRIC
+33 (0)1 42 46 85 18
contact@expertise-ottavi.fr

Expert en photographies : Charlotte BARTHÉLEMY
+33 (0)6 30 35 31 43
contact@charlottebarthelemy.com
www.charlottebarthelemy.com

BIO EXPRESS

Saverio Lucariello est remarqué au sortir de l’école des Beaux-Arts de Naples par le critique d’art contemporain Achille Bonito Oliva[1] qui le présente dans un accrochage collectif avec neuf autres artistes.

En 1986, l’artiste installe à Paris ses œuvres aux cimaises de la galerie Antoine Candau.

Lot 80

Après une exposition personnelle à Castres en 1988, l’artiste est invité à investir la cour du Musée Carnavalet en 1991. Un autre critique d’art Bernard Lamarche-Vadel loue son emprunt intuitif à l’arte povera, au minimalisme américain et son apport à la trans-avant-garde italienne.

Par la suite, l’artiste exposera à la Galerie Loft, galerie Janos, galerie Philippe Rizzo…

En 1995, Lucariello sera présent à la Biennale de Venise sous la houlette de Jean-Yves Jouannais.

1996 marque le début d’une collaboration avec la Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois qui durera près de 15 ans.

Lot 178

En 1999, avec pour curateur Harald Szeemann, Lucariello expose à la Biennale de Venise sous la forme d’un nouveau média, la vidéo, preuve de l’aspect protéiforme de son expression artistique.

Près de 40 expositions personnelles et le double d’expositions collectives ont amené l’artiste aux quatre coins de l’Europe en passant par Philadelphie en 1999 et par New York en 2013.

Notons ses deux dernières expositions, celle de la Galerie Christophe Gaillard en 2019 et celle du Centre d’art contemporain à Meymac en 2020, où se côtoient tableaux, sculptures et installations vidéo.

En 2024, une rétrospective consacrée à Saverio Lucariello est prévue à l’Abbaye Saint André, Meymac sous l’égide de Caroline Bissière. Le prêt de certaines œuvres présentées dans notre vente sera demandé dans le cadre de cette exposition.

Une monographie consacrée à l’artiste est en cours par Olivier Kaeppelin aux Éditions Lord Byron.

[1] Achille Bonito Oliva a théorisé en 1979 dans la publication Flash Art le concept de la trans-avant-garde italienne qui a eu des répercussions en France, en Allemagne et aux États-Unis.

 

 


Passé cette limite votre ticket d’art classique n’est plus valable.

Ne cherchez pas dans l’œuvre de Saverio Lucariello une référence à l’art gréco-romain basé sur un ordre exaltant la beauté classique.

Lucariello s’est éloigné de l’Olympe et du culte d’Apollon pour se tourner vers Hermès, certes messager des Dieux, mais tel Janus offrant deux visages, l’un bienveillant, l’autre dissimulateur, voleur et adepte des tromperies. En cela cette divinité se rapproche-t-elle des hommes en ce qu’ils portent en eux de parts d’ombres, de faiblesse et de vanité. Dans l’un de ses visages, Hermès, avec malice, s’amuse des mystifications et subterfuges, autant qu’il s’agace de la loi et de l’ordre et s’ennuie avec le bon goût et la vérité.

Lot 235

Loin des récits d’Homère et des prouesses d’Achille exaltant l’héroïsme, Lucariello a un goût pour le théâtre incongru du quotidien, la représentation du banal.

Lucariello choisit la transcendance de l’ordinaire, de la vie courante, juxtaposant ou créant des objets et images que rien ne lie, les traitant par l’absurde, la maltraitance ou la dérision.

Sans doute tient-il cette attirance pour la bizarrerie de sa jeunesse napolitaine où à chaque passage d’année s’applique une coutume séculaire : vers minuit, les habitants jettent des fenêtres tout ce qui encombre leurs appartements : casseroles, poêles, matelas, chaises, voire armoires… Malheur à celui qui se promène ce soir-là en bas des immeubles !  Au matin, les rues sont jonchées de débris offrant le spectacle d’un débarras exutoire de la vie quotidienne.

Lucariello est un artiste hermétique dans le sens où la compréhension de ses œuvres nécessite une volonté d’implication, voire d’immersion. Lui-même se définit comme « conceptuel, surréaliste, baroque et ringard, pataphysique et poétique ».

On remarque que chaque période engendre un mouvement artistique qui s’appuie sur un concept associé. Le surréalisme a été caractérisé par l’utilisation de l’inconscient et du rêve libérés du contrôle de la raison. En 1924, André Breton, dans son manifeste, prônait la substitution de toute préoccupation esthétique ou morale par la représentation de l’indicible et d’une pensée qui laisserait libre cours à nos rêves d’enfant.

Dans une création protéiforme utilisant tant peinture, installations, photographie, vidéo que sculpture, l’organique prédomine.

La conception de la photographie et de la vidéo diffère du prisme auquel Lucariello recourt dans sa peinture. Dans ses prises de vue photographiques, l’artiste s’exerce à une mise en scène complexe à laquelle lui-même participe en y introduisant son portrait ou une partie de son anatomie.

Lot 147

En 2005, la critique d’art Danièle Yvergniaux décrit avec justesse les créations picturales des années précédentes : « des peintures puissantes, étranges, figurant des masses informes, ressemblant à des outres ou des calebasses reliées par des sortes de viscères, tracées à traits épais au graphite et à l’huile. »

La nature de ces masses colorées en aplat n’est pas expliquée par l’artiste, même si ces formes semblent nourricières, proliférantes et en constante métamorphose. C’est bien l’exercice voulu par Lucariello que cette figuration dépende pour l’interprétation du bon vouloir de chaque spectateur et que nul n’y voie la même chose.

Dans les toiles des années 2000, ces formes organiques prolifèrent et s’associent avec d’étranges figures, ni enfants ni adultes, qui semblent alors reliés à leur propre placenta. Naissent des compositions imagées à la Jérôme Bosch, où des personnages cohabitent avec leur matrice originelle placentaire, obligeant corps et fonctions intérieures à vivre ensemble leur destin.

Le Transi (1545) par Ligier Richier

Le Transi de Ligier Richier (1545), né de la volonté de René de Chalon, préfigurait déjà quatre siècles auparavant cette alliance du corps et du cœur, réunissant l’intérieur et l’extérieur en une seule représentation. Chez Lucariello, le mélange est plus trivial, plus intime, de fait plus réel et humain, accordant aux deux entités la même place dans une représentation figurative sans lyrisme.

La sculpture de Lucariello combine dérision, abondance, grotesque, entrelaçant sérieux et comique dans une truculence rabelaisienne et jubilatoire. Sous forme d’autoportrait, l’artiste se met parfois en scène, donnant à son visage une apparence de membre de la Commedia dell’arte égaré au milieu d’une nature morte baroque composée de fruits, de poissons, de coquillages où se greffent à l’occasion fesses ou autres intimités.

Les installations de Lucariello font le grand écart. Sur un fauteuil en toile de Jouy (1996) se déploie une forme exponentielle et exubérante qui n’est pas sans rappeler l’aliment blanc de Robert Malaval. Plus loin et plus tard deux Venus néoclassiques se font effleurer par une pilosité chatouilleuse (2008). Parent du cube noir géant vidéo toutes faces, un cube doré (2008) en impose par sa majesté et son embonpoint.

Bref, une logique d’enfantement en zigzag qui passe par le minimalisme, l’accumulation et le baroque.

Marc Ottavi

 


Bienvenue dans le monde de Saverio Lucariello

Bizarre, troublante, parfois déroutante, absurde, mais aussi drôle et émouvante, l’œuvre de Saverio Lucariello ne laisse personne indifférent.

La découverte de l’atelier installé dans une ancienne ferme en plein cœur du département de l’Yonne fut fascinante. Soigneusement organisé pour toute sorte d’activités créatives, peinture, céramique ou encore photographie, ce grand espace blanc gardait une forte empreinte de la présence de l’artiste. Les peintures abouties ornaient les murs, les sculptures trônaient sur leurs sellettes, les modelages en cours se préparaient pour la cuisson ou le vernissage, les toiles vierges attendaient leur tour…

Vue de l’atelier

Les sujets de ces œuvres, quant à eux, étaient… surprenants. Des formes organiques dans des tons bruns, jaunes ou bistres, des êtres étranges portant des formes rouges indescriptibles, des personnages en céramique enchevêtrés les uns sur les autres, des chaussures démesurées et connectées à des objets indéfinissables… Dans l’espace adjacent, les photographies de grand format dévoilaient la vie imaginaire et théâtrale de l’artiste. Déguisé, il s’entourait d’objets du quotidien ou de sa propre création, il leur parlait, leur chuchotait, les interrogeait… Tout un univers à découvrir !

Une fois que toutes les œuvres de l’atelier ont été photographiées, mesurées et décrites, les ouvrages et les catalogues d’expositions étudiés et l’ensemble des œuvres classées dans l’ordre chronologique, la vision globale de l’œuvre de Saverio Lucariello a commencé à apparaître.

À l’origine de ce nouvel univers, l’artiste place la substance organique. Toujours souple et peu définie, elle s’intègre dans ses peintures à la fin des années 1980, comme en témoignent les titres Naturale (naturel) ou Radici (racines). Vers 1990, cette substance perd toute appellation, mais commence à prendre des formes plus définies, entreliées, organisées dans des compositions assez monumentales.

Les années passent, les formes se concrétisent, se multiplient et, vers 1994, donnent naissance aux premiers personnages, bistres toujours, liés intimement à leur source organique d’origine. L’année 1996 voit apparaitre le thème des chaussures avec la série Scarpe, que Lucariello décline

Vue de l’atelier

autant dans la peinture que dans les objets volumineux, voire encombrants.

L’artiste surprend le spectateur, à la fin des années 1990, par une série d’œuvres inhabituellement figuratives, des portraits parfois facilement reconnaissables, tout en gardant un lien avec ce monde imaginaire en forme de « trucs » rouges omniprésents.

À partir des années 2000, les formes organiques prolifèrent, le monde se peuple de personnages de toutes formes qui naissent et donnent naissance, les liens se tissent, les villes se construisent… L’œuvre prend de plus en plus d’ampleur en installations imposantes, en diptyques et polyptyques, en volumes souples et brillants ou solides et émaillés… Les personnages se multiplient, se tordent, s’empilent les uns sur les autres…

Incompréhensible et déconcertant au premier abord, c’est par des émotions fortes que Lucariello invite le spectateur dans son univers où tout est permis, tout est naturel, tout peut exister, où il n’y a pas de normes, pas de règles, presque pas de gravité même, où la liberté est quasi-totale. Ceux qui ont réussi à passer cette première étape seront surpris de découvrir un artiste singulier, sensible, parfois enfantin et touchant, parfois solitaire, en manque affectif, mais toujours cohérent et surtout très sincère.

Nadezda Gric