Article par Anne Foster
Moïse Kisling et Louis Thène, une amitié indéfectible
1940 : une année charnière pour Kisling. Contraint de se réfugier à Lisbonne, il s’arrête un temps à Marseille où il peint ce magistral portrait de Bohémiens, peuple errant qui le fascine.
Trente ans après s’être installé à Paris, Moïse Kisling, originaire de Cracovie, se retrouve à devoir affronter un exil dont il ne connaît pas la durée. En 1940, c’est un artiste reconnu : fini les années difficiles mais joyeuses avec ses amis Juan Gris et Modigliani, les soirées animées dans son atelier à Montparnasse. Il est maître de son style, virtuose de la forme soutenue par une palette vibrante. Le succès est au rendez-vous depuis son exposition en 1919 à la galerie Druet, l’une des plus importantes du Paris de l’époque. Prévenu par André Salmon du danger qu’il court pour ses activités antinazies, Kisling se prépare à quitter le pays et se réfugie à Marseille dans l’espoir de passer au Portugal. Dans cette ville cosmopolite, il compose cette toile de grandes dimensions où se dresse la silhouette d’une Bohémienne tenant son enfant sur ses genoux, telle une madone. Tsigane errante comme les juifs contraints à fuir. On est loin de ce qui a fait son succès : les nus aux formes voluptueuses, rehaussées par une finesse de coloris pour rendre le velouté de la peau, les grands bouquets de fleurs aux teintes chatoyantes, les paysages plus apaisés et les nombreux portraits qui assurent sa notoriété, à commencer par celui d’Arletty nue. Cette peinture magistrale, à la fois sévère, tendre, composée avec une gamme de couleurs vibrantes, séduit aussitôt Louis Thène, ami et collectionneur presque exclusif de Kisling. Les lettres qu’il lui envoie de Marseille entre les derniers mois de 1939 et le début de 1940 sont éloquentes sur leur amitié, ainsi que ses liens avec l’épouse de Louis Thène et sa belle-sœur. Des liens vraiment intimes ; il peut ainsi lui avouer son attachement – ou addiction – aux « garces du Vieux-Port ». « Je suis un salaud ! J’ai honte ! Je suis – je suis – je suis tout ce que vous pouvez imaginer de mal de moi. Comment ! Rester si longtemps sans vous écrire sans vous exprimer la joie que j’ai eu en lisant vos lettres. » Ou encore : « Et pourtant… c’est vrai c’est vrai comme le jour que tous les jours j’aller (sic) me mettre à table pour vous dire que je suis heureux d’avoir rencontrer (sic) un homme comme vous sensible et qui me dit de si jolies choses au sujet de ma peinture. »
« Les PHARES », vente aux enchères d’œuvres choisies, petits et grands chefs d’œuvre, Farran commissaires-priseurs, dimanche 4 mai 2025 au Kiasma à Castelnau-le-Lez