VENTE DE PRESTIGE « LES PHARES »
 Vente aux enchères d’œuvres choisies, petits et grands chefs d’œuvre
 
Dimanche 4 mai à 14h au Kiasma à Castelnau-le-Lez
dont une œuvre par Moïse Kisling
Lot 31
 Moïse KISLING (1891-1953)
 Bohémienne et son enfant, 1940
 Huile sur toile
 Signée, datée et située « Marseille » en bas à gauche
 100 x 81 cm
 80 000 – 120 000 €
 (jaunissement du vernis, petites craquelures)
Provenance :
 Collection Louis Thène, mécène et ami de Moïse Kisling.
 Joint les photocopies d’une importante correspondance entre les deux hommes.
Bibliographie :
 Catalogue raisonné, Tome III, p. 168, n°198.
 L’œuvre sera incluse dans le « Volume IV et Additifs aux Tomes I, II et III » du Catalogue raisonné de l’Œuvre de Moïse Kisling actuellement en préparation par Marc Ottavi.
En 1939, Kisling s’engage comme soldat de 2e classe alors qu’il porte sur sa poitrine la Légion d’honneur. Il sera rendu à la vie civile l’année suivante après l’Armistice quand les Allemands occuperont Paris après avoir défait le front français.
 Prévenu par André Salmon du danger qu’il court pour ses activités antinazies, Kisling se prépare à l’exil et se réfugie à Marseille dans l’espoir de passer au Portugal.
 Durant son court séjour, il y peint quelques tableaux remarquables, dont celui que nous présentons. Un collectionneur, Monsieur Thène, l’achète immédiatement. A cette occasion Renée, l’épouse de Kisling, se plaint dans une lettre écrite à Monsieur Thène que l’argent de cette vente serve à Kisling pour fréquenter les prostituées.
 On connaît l’attirance du peintre pour les modèles de rue, qu’il ne voit pas comme une simple représentation physique, car il y ajoute une dimension psychologique et sentimentale. Les bohémiens lui servent volontiers de modèles. Kisling se plaît à représenter ces errants perpétuels, fruit d’une antique migration. Dans « L’Épopée bohémienne », illustrée par Kisling, est décrite sa fascination pour ce peuple étrange, mystérieux, farouche et intuitif dont les femmes connaissent le passé et prédisent l’avenir.
 En arrière-plan, une jeune femme assise, foulard noué autour du cou, est vêtue, suivant les coutumes d’habillement tziganes, d’une jupe longue et ample qui dissimule son corps. Volontairement effacée, elle tient en majesté une fillette, parfaitement apprêtée et parée, vêtue d’un costume traditionnel d’origine hongroise qu’elle a modifié à son goût.
 Kisling ajoute à sa peinture ce qu’il perçoit, ressent et subodore. Dans notre tableau, la fillette est l’objet de toute l’attention de sa mère qui la regarde tendrement. Elle est à l’évidence son bien le plus précieux et le plus cher à son cœur. Peu importe le dénuement, un lien indéfectible les unit.
Marc Ottavi
Retranscription de la correspondance entre Kisling et le collectionneur et entre Renée Kisling et le collectionneur :
« La Baie »
 Sanary s/mer (VAR)
 10 XI 39
 Cher Monsieur Thène,
 J’ai peur ! très peur me sentant coupable a cause de mon silence – C’est de la faute
 au pays – la faute au soleil et puis la faute a la guerre qui m’a fichue une bonne
 réaction – Enfin j’ai commencé à travailler et j’ai fait une bonne toile de fleurs que
 vous verrez au prochain envoie. Je viens d’expédier une caisse avec trois toiles dans
 laquelles se trouve le nu retenu par madame Thène – J’espère qu’elles vous plairont
 beaucoup. A part la belle vie d’ici je suis très malheureux – les militaires ne me
 laissent pas faire du paysage vu que nous sommes en guerre et Sanary se trouve
 dans la zone fortifié – Je partirai donc bientôt a Marseille que j’adore et travaillerai la
 bas. J’ai expédié les toiles à mon marchand de couleur – Guichardaz 12 Rue
 Campagne Première (à Montparnasse) je lui ai donné votre adresse quand les toiles
 seront encadrés il vous téléphonera. J’espère que vous allez bien ainsi que madame
 Thène et vous prie de recevoir mon souvenir le plus sincèrement amical.
 M. Kisling
***
30 XII 39
 Cher ami,
Je suis un salaud ! J’ai honte ! Je suis – je suis – je suis tout ce que vous pouvez
 imaginer de mal de moi – Comment ! Rester si longtemps sans vous écrire sans vous
 exprimer la joie que j’ai eu en lisant vos lettres ?! Non ! Non ! Non ! Ce n’est pas
 possible ! Et pourtant …c’est vrai c’est vrai comme le jour que tous les jours j’aller me
 mettre a table pour vous dire que je suis heureux d’avoir rencontrer un homme
 comme vous sensible et qui me dit de si jolies choses au sujet de ma peinture – que
 j’ai bien reçu les deux chèque que je suis heureux de pouvoir rester dans ce
 Marseille qui me fait travailler beaucoup – J’aurai voulu vous dire des tas de choses
 mais croyez moi que c’est plus facile pour moi de faire trois tableaux que d’écrire une
 lettre surtout a Marseille. Où après le travail rentré a l’hôtel le soir – vingt amis
 femmes et hommes vous attendent pour prendre un pastisse pour aller diner – aimer
 et encore beaucoup d’autres choses – certaines avouables et d’autres …Je n’ose
 même plus vous demander comment vous allez ainsi que Madame Thène. Comment
 vous avez passé les fêtes et que va donnez la nouvelle année qui sera magnifique je
 vous le souhaite de tout cœur ! A propos de Marie Laurencin j’aurai pu vous dire
 beaucoup de choses mais il faudrait nous trouver devant nos toiles – et la – je
 pourrais vous démontrer que nos sentiments notre compréhension de la peinture est
 terriblement contraire. Vous dites que vous n’êtes pas critique d’art mon dieu !
 Comme vous dites beaucoup de choses juste et plus vrai que les messieurs les
 critiques ! Je ne vous dis pas que vous avez ou que vous n’avez pas raison au sujet
 de Marie, mais je suis certain que vous sentez la peinture – C’est déjà beaucoup ! –
 Avez-vous reçu les fleurs et le paysage ? Je devais vous envoyer encore une figure
 mais elle n’était pas sèche. Je l’ajouterai à mon prochain envoie que j’espère vous
 plaira beaucoup. Je vous prie de m’écrire ici – a Sanary je vais rarement – Je vous
 prie humblement cher ami de me pardonner pour mon silence me rappeller au bon
 souvenir a votre femme et votre belle sœur – et a vous cher ami toute mon amitié
 sincère
 Votre Kisling
***
17 quai de Rive Neuve
 Marseille le 11 IV 40
Cher ami,
 Vite un mot pour vous remercier de 3000 Fr et pour vous dire que ma main coure
 …coure – vite pour finir l’envoie qui partira dans une caisse dans quelques jours.
 Une sacrée garce et foutu le camps et c’est elle qui m’a mis en retard ce mois ci.
 J’arrive a bout d’une brune blonde et rousse en plus un bouquet d’aromes. Donc
 attendez avec patience ces quatre toiles – La curiosité me dévore de savoir déjà ce
 que vous me direz dans la prochaine lettre. Marseille est toujours là. Et vous vous
 obstinez ne pas vouloir manger une bonne bouillabaisse dans mes parages – vous
 préférez Daumel …
 Mes hommages a votre femme
 Bien cordialement votre Kisling
***
10 5 40
 Mon cher ami,
Merci pour votre lettre et les deux chèques – Au fond vous avez raison je ne suis
 qu’un « fétard » – je prefère ça que « salaud » – Vous voyez comme je me juge
 sévèrement !
 Je ne sais pas si j’ai besoin toutes ces filles pour faire la fête mais je sais une chose
 que je vis par elles et que je ne pourrais pas faire de la peinture sans elles. Je ne
 sais pas si vous comprenez bien ce que je veux dire. Il y a quelque chose qui est
 dans moi qui aime la femme pour la femme comme on aime le son pour le son – la
 couleur pour la couleur – L’amour je m’en fous ! Je besoin leur présence – aucune
 perversité ne me trouble autant que la pureté de la chaire – la peau qui arrete la
 lumière et qui crée la couleur – Tout ça c’est bien complique et je ne sais pas moi
 même ce qui me tracasse. Je vais vers la finision (finition) de mon prochain envoi. Il y
 aura cinq toiles de 10 dont trois figures – un port de Marseille et un paysage de la
 région que j’ai fais malgré l’interdiction du Général. Je commence de rentrer en plein
 dans le bain de Marseille dans son vieux port et surtout dans les filles magnifique –
 C’est dans l’envoi du mois prochain que vous allez le sentir – merci pour tout ce que
 vous me dites ! Pourquoi le monde ne se compose pas de quelques uns comme
 vous ? Meilleur souvenir a votre femme et votre belle sœur et toute mon amitié
 sincère.
 Votre M Kisling
***
17 quai de Rive Neuve
 Cher ami,
Merci pour votre lettre et l’envoi de 3000 fr. Ne m’en voulez pas cher ami. Je n’ose
 pas vous dire la vérité qui est simple mais qui peut être de circonstance – on la
 connait celle là ! C’est comme une panne d’auto et pourtant elles arrivent souvent –
 La mienne consiste a souffrir de la main droite qui était pendant 2 semaines dans
 des pansements.
 C’est la première journée que je peux écrire. J’ai glissé et suis tombé dans la rue sur
 ma main droite. C’est bête. Moi qui me suis proposé de vous envoyer des nus, je
 vous envoi des figures et seulement dans 3-4 jours. J’espère que le mois prochain
 sera le mois des nus. Dites moi si vous êtes faché – si oui je me ficherai de ma
 fenêtre dans le vieux port ou j’habite déjà ayant souffert de la vie d’hôtel. Comment
 allez-vous ? Et madame Thène ? Que faites vous dans ce Paris qui ne me donne
 aucune envie de faire un tour. Les femmes me réclament mais je ne veux pas quitter
 les belles garces du vieux Port – Dites moi bientôt « sans rancune » et toutes mes
 amitiés
 votre M Kisling
***
La Baie 28 juin 1941
Cher monsieur,
 Je transmets votre lettre à mon mari pour qu’il vous réponde lui-même car je ne suis
 pas au courant de ses affaires, mais je peux tout de même vous dire que je ne pense
 pas qu’il ait terminé les panneaux dont vous parlez, sans cela il vous l’aurait
 certainement fait savoir.
 J’ai souvent de ses nouvelles, il va heureusement très bien et travaille beaucoup
 pour faire une exposition à New-York où il est en ce moment.
 Voici son adresse 13 Gramercy Park
 New York City
Je vous remercie cher monsieur pour votre très gentille lettre. Croyez que je suis très
 touchée de l’amitié que vous témoignez à mon mari et veuillez agréer cher monsieur
 l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
 R.Kisling

